Le mix final de “Strawberry Fields Forever” est connu pour être un coup de maître de George Martin, le fameux producteur considéré comme le 5ème Beatles, et de Geoff Emerick, leur ingé son parfois qualifié de 6ème Beatles, tant il a lui aussi contribué à l’œuvre des Blattes, pardon, des Scarabées, c’est comme ça qu’on dit en France. Car l’enregistrement final est en fait un subtil montage de bandes analogiques entre deux prises totalement différentes.
Tout d’abord la prise no 7, une version simple avec le groupe, joué à un tempo nonchalant, et dont Lennon aimait bien la première minute.
Mais John aimait bien la fin de la prise no 26 enregistré avec l’orchestre, à un tempo plus allant et jouée un ton plus haut.
Du coup, quand Lennon a demandé à George Martin de faire un montage des deux versions, il a probablement du répondre un truc du genre “Eh ben… en fait, John… tu sais… c’est pas si simple… parce que bon…tu vois…” auquel John aurait coupé court par un “You can fix it, George”. Démerde-toi, quoi, nous on va boire des pintes.
Dans le froid londonien de ce 22 décembre 1966, il faudra le talent des deux chimistes du son pour opérer ce mélange impossible et distiller l’élixir qu’on connait au final. La transition a lieu au bout d’une minute, on sent juste le timbre de voix de Lennon qui change un peu, du fait d’avoir ralenti la bande de la version orchestrale, pour la ramener dans la même tonalité que la première partie.
Il est peut être difficile d’entendre dans ces précédentes versions l’extrait utilisé par deux autres chimistes du son, originaires de la rivale Manchester, dans un titre en hommage aux quatre Liverpuldiens. Mais peut-être qu’en écoutant attentivement l’accord tenu à la 39ème seconde de cet enregistrement de l’orchestre seul, des souvenirs vaporeux vous reviendront, accompagnant ce sample du titre: forever.
Les Chemical Brothers poursuivent la chimie de Martin et Emerick en prélevant quelques extraits de ces sessions orchestrales, les moulinant à l’endroit puis à l’envers, filtrant les fréquences au tamis et les agglomérant à la colle de fish’n chips. Le tout est servi avec un demi d’Oasis offert par la maison, c’est Noël. Ce troisième Mancunien, qu’on a probablement le plus accusé de copier les Beatles, trouve ici sa meilleure occasion de leur rendre hommage, et Michel Gondry aux sommet de son art de poursuivre cette chimie visuelle avec un clip taillé sur mesure.
Les Chemical Brothers avaient déjà infusé de semblables ingrédients trois ans plus tôt lors d’une première collaboration avec Noël Gallagher, sur le titre “Setting Sun“, sorti trente ans pile après “Tomorrow Never Knows“. Le titre des Chemicals parait à ce point un remake survolté de la chanson des Beatles (même rythme de batterie, même drone de sitar, même manière de chanter…) que leurs avocats avaient missionné un musicologue pour prouver l’utilisation de samples (non déclarés)… mais sans succès, ce n’était a priori pas le cas.
Ce qui est drôle, c’est que malgré un faisceau d’indices a posteriori évidents, le sample de “Let Forever Be” est resté incognito pendant des années (peut-être un moyen pour les Chemical Brothers d’éviter de coûteux droits d’auteurs?). La première trace que j’en ai trouvé sur le web remonte à un post de mars 2023! J’en suis même à me dire en relisant ce titre, “Let Forever Be”, que les frères chimistes auraient peut-être bien mis une décoction de “Let it be” dans leur mix. Mais cela demanderait encore un peu de travail de distillation sonore pour en être sûr…
La suite demain à cette adresse!