Il y a un sensation psychique singulière dans le fait de reconnaitre un sample au milieu d’un morceau. Il semble se détacher, comme s’il avait été rajouté et collé là, quand bien même on écouterait le morceau original dont il est extrait. On pourrait attribuer cette sensation à une réaction primaire et profondément ancrée de réconfort que procure la familiarité, mais il s’y ajoute une forme d’excitation de l’ailleurs. Car cette familiarité dévoile sous nos pieds une passerelle secrète entre un monde que nous connaissions déjà et un autre jusqu’alors inconnu, rempli de couleurs et de sons inouïs. Et quoi de plus grisant que de nouvelles couleurs ?
Je ne me souviens plus de la date à laquelle j’ai entendu pour la première fois ce morceau de Shelly Manne, mais je me souviens de cette sensation. Il figure tout à la fin de l’album “Mannekind”, album de jazz progressif sorti en 1973, sur lequel Shelly Manne — batteur et chef d’orchestre au nombre impressionnant d’albums et de collaboration (dont Henry Mancini, dont nous parlions hier, mais aussi tant d’autres) — s’amuse à introduire quelques sons exotiques: Berimbau et Cuíca brésiliens, woodblocks et autres flexatones… Un son particulier ressort sur le dernier morceaux intitulé “Infinity”, qui ressemble à une sorte de balafon avec une réverbération très colorée et un slap-delay, comme des gouttes d’eau tombant au fond d’une caverne.
L’intro de ce morceau a été samplée par DJ Premier, et le timbre particulier de cette percussion a sans doute contribué au succès du titre “Come clean” de Jeru The Damaja (1993). Je me souviens l’avoir découvert en 1995, sur une compilation de Guru gagnée sur radio Brume, quand nous étions moins d’une trentaine d’auditeurs à nous partager les places de concert et autres compilations offertes. L’histoire dit que DJ Premier avait prétendu qu’il avait enregistré des gouttes d’eau, quand est arrivé la première poursuite judiciaire pour atteinte aux droits d’auteurs; comme quoi on peut être un excellent DJ et un piètre bonimenteur.
On peut aussi entendre, quoique plus subliminalement, ce timbre particulier de percussion sur le titre Isobel de Björk, second épisode d’une trilogie, succédant à “Human Behaviour” et précédant “Bachelorette“. Le sample de Shelly Manne n’est pas mentionné dans les crédits de l’album; comme quoi on peut être Björk et être une excellente bonimenteuse. Et comme les clips vidéos de Gondry sont incomparables, en voilà un autre pour le plaisir. Depuis la forêt profonde où elle vit, Isobel — la belle isolée, envoie des messages subliminaux aux gens de la ville, via des papillons se posant silencieusement sur leur col de chemise, pour qu’ils se souviennent de l’enfant espiègle. Une simple excuse. Une goutte d’eau.