#4 — Tournez et hurlez

Les années 60 marquent le sommet des Trente Glorieuses et sont un répertoire inépuisable de musiques dansantes et légères, dans lesquelles puiseront gaiement les groupes des trente années suivantes pour chanter la crise et la dépression. On trouve par exemple cette chanson: “Let the Four Winds Blow”, co-écrite par Dave Bartholomew et Antoine “Fats” Domino et d’abord enregistrée par Bartholomew en 1955.

Elle fut également enregistrée par son comparse, quelques années plus tard en 1961, avec déjà un shuffle rythmique plus prononcé:

 

Ce petit shuffle dut rapidement tomber dans l’oreille de l’un des commerciaux de la Pickwick Records, un de ces labels de musique affiliés à de grandes chaines de magasins, pillant les tubes d’artistes auteurs et inondant le marché d’albums low-cost, en faisant souvent ré-enregistrer ces tubes par des musiciens de studio anonymes, et en les vendant sous de faux noms de groupe. Lou Reed y travaillera d’ailleurs un temps à ses début en tant qu’auteur-compositeur anonyme.

C’est ainsi que dès l’année suivante, ce “Let the Four Winds Blow” devient “Yes she knows” interprété par un certain “Tuby Chess and his candy stripe twisters“, ou bien par “Tuby Chess & orchestra“, à moins que ce ne soit par “George Torres And The Twisters” (pour le public latino, vraisemblablement). On pourrait croire à des noms de groupe et des pochettes d’album générés par IA, mais non, on est toujours en 1961 et le business n’a pas 60 ans à attendre. Ne cherchez donc pas la bio de George Torres ou Tubby Chess; ils n’existent qu’en pochette (je n’ai même pas réussi à trouver les noms des musiciens qui jouent sur ces enregistrements). Et au vu de la pochette, on en déduira que même le graphiste était payé au lance-pierre.

C’est justement cet ersatz plutôt que l’original qui sera samplé, probablement à dessein, par un groupe venant chanter la désillusion des années 1990.

Mark Oliver Everett, alias “E”, fils du physicien quantique Hugh Everett (auteur de la théorie des mondes multiples) et chanteur des Anguilles de métier, sort “Novocaine for the soul” dans laquelle il critique précisément le fake de la société de consommation, antalgique low-cost pour engourdir la tristesse ou la colère et ne pas hurler son désespoir. Et il en a pas mal, le Marko, parce que sa sœur se suicide cette même année 1996.

Conséquence probable de la physique quantique reçue en héritage, à défaut d’affection paternelle, il réclame son ordonnance en tournoyant au dessus du vide, coincé entre les murs de brique d’une impasse et dans l’apesanteur d’une nouvelle vidéo signée Mark Romanek… Une mise en scène du fameux palindrome de Virgile, repris par Guy Debord pour son film sur la société du spectacle: “In girum imus nocte ecce et consumimur igni / Nous tournoyons dans la nuit, et nous voilà consumés par le feu.”
En anglais: twist and shout.

La suite demain à cette adresse!

Author: Vincent

Independant R&D engineer and artist, crafting digital instruments for audio/visual live performances, installations and interactive applications. I post some of my works and news on this site.

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