J’ai découvert Tom Waits en 1993, peu de temps après la sortie de “Bone Machine”, chez Raymond et Anne-Marie, les parents de mon pote Tonio. J’avais 12 ans et je n’étais pas prêt. Mais leur en suis infiniment reconnaissant.
Cela ne ressemblait à absolument rien de ce que je connaissais jusqu’alors, ni à rien de ce qui passait sur les radios pour ados de la bande FM, qui représentaient alors l’essentiel de ce que je découvrais en musique. Une pochette de disque grand-guignol avec un visage de fou-à-lier surgissant de nulle part, des percussions hypnotiques sur des bouts de rebuts, une guitare qui sent la rouille, une basse distendue (Les Claypool here), un Chamberlain poussiéreux et puis, comme provenant du fond de la vieille grange abandonnée de la rust-belt américaine d’où ce vacarme semblait gronder, la voix de Tom Waits, éructant sa rocaille, relatant des faits-divers sordides sur un ton de fossoyeur perfide, ou proférant tel un ivrogne des prophéties de fin du monde, visionnaire comme un estropié solaire. Les tubes de Nirvana, qui passaient pour les titres les plus sales et sulfureux de mes radios d’ado, devenaient soudainement des comptines de chérubins.
Après “The Black Rider” en 1993, Tom Waits fera une longue pause de six années sans album studio et changera de crèmerie pour passer de Island Records à ANTI-, le tout nouveau label d’Epitaph. Quand sort finalement “Mule Variations” en 1999, je me souviens m’être précipité pour l’écouter. On y trouve notamment ce “Eyeball Kid”, contant l’histoire d’un enfant monstrueux embauché dans une foire aux freaks par un manageur crapuleux, et dénonçant les affres du show-business à grand coup d’images glauques et un régal de répliques sans égal:
I know you can’t speak, I know you can’t sign
So cry right here on the dotted line.
Le kid en question, déjà mentionné dans la chanson “Such a scream” sur l’album Bone Machine, serait né un 7 décembre 1949, comme Waits, toute coïncidence n’étant pas fortuite.
Comme souvent dans les musiques de Waits, il y a plein de bruits bizarres en arrière-plan sonore. (Il s’amuse d’ailleurs de ce boucan de bric-à-brac dans le titre “What’s He Building?” sur ce même album). Auriez-vous déjà entendu ces étranges cris rauques qui rythment Eyeball Kid?
Il s’agit d’un sample extrait d’enregistrements de David Lewinston, grand collecteur de sons des musiques traditionnelles du monde entier, qui enregistra ces chants de danse Ketjak durant son premier voyage à Bali en 1966, et qui furent publiés dans la série Explorer du jeune label new-yorkais Nonesuch, une filiale d’Elektra originellement crée pour produire des albums de musique classique bon-marché.
Ron Fricke (déjà à l’œuvre sur Koyaanisqatsi) filma également ces chants dans son documentaire “Baraka”. J’avais beau avoir déjà entendu l’enregistrement original de ces chants que Waits intègre dans “Eyeball Kid”, je n’avais jamais fait le lien jusqu’à hier soir… but that was worth the wait!
La suite demain à cette adresse!