#7 — Labi fait la manne

L’été dernier, mon pote Ollivier nous faisait écouter ce titre dans la voiture. Je regardais la route, toute en virages, et n’ai donc pas pu voir sa tête, mais je le soupçonne fortement d’avoir scruté le moment où j’écarquillerais les yeux, à l’écoute d’un passage dont le sample est tellement flagrant qu’il en parait presque incongru, a posteriori, dans le morceau original.

OK, certain·e·s reconnaitront aussi un sample dès les premières secondes, mais nous savons tous que ce n’est pas ce dont il est question…

Le premier à sampler ce morceau de Labi Siffre est vraisemblablement Jay-Z en 1997 sur sont titre “Streets Is Watching”, et suivront quelques autres titres cette même année 97 repiquant des bouts de la première partie de “I Got The…”

Mais curieusement, personne ne s’arrête à l’époque sur cette seconde partie, qui commence à la deuxième minute du morceau de Siffre… jusqu’à ce que Dr Dre se rendent compte de l’évidence même: une boucle de batterie dénudée, seulement accompagné d’une ligne de basse limpide, puis un clavier minimal qui rentre dessus. Le genre de sample idéal dont rêve tout beat-maker. À tel point que les Dust Brothers, qui travaillaient alors sur le nouvel album de Beck, avaient sélectionné ce même sample pour son prochain single. Mais Dre avec sa boule à Z et Eminem, avec et sa buzz-cut, n’allaient quand même pas se laisser coiffer sur le poteau par trois néo-hippies. Les devançant d’un cheveu sur le calendrier de prod, il leur coupèrent l’herbe sous le pied en enregistrant le titre en une journée, et en sortant dès janvier 1998, au nez et à la barbe de nos chevelus, le titre qui fit connaître “Slim Shady”, à savoir: “Salut, je m’appelle”. (C’est drôle, lui non plus n’a pas réussi à finir son titre.)

 

Cette supposée “dirty version” est en fait déjà une version censurée. En effet, quand Eminem et Dre contacte Siffre pour l’utilisation du sample (en espérant voir Labi céder), ce dernier refuse de leur accorder pour la raison que le texte d’Eminem contient des lignes sexistes et homophobes, inacceptables pour lui. Il demande donc à ce que la chanson soit ré-écrite et expurgée de ces passages, ce que fera Eminem. Mais l’équipe de production d’Eminem filoute et renvoie à Labi Siffre la version expurgée, accompagnée d’un contrat permettant l’utilisation du sample de Siffre dans les deux versions, clean et explicite.

Bref, Siffre se fait arnaquer sur le plan moral, mais il réussit d’une pierre trois coups: en faisant ré-écrire sa chanson à Eminem, en connaissant un regain de popularité après le succès mondial de “My name is…” (rien qu’au USA, le titre a été vendu plus de 3 millions de fois), ainsi qu’en empochant une somme probablement coquette de royalties, et tout cela sans avoir à lever le petit doigt, quoique peut-être celui du milieu. On parle même d’un numéro assis, Siffre champion du monde de ricochet pour l’année 1998.

La suite demain à cette adresse!


Sources

Author: Vincent

Independant R&D engineer and artist, crafting digital instruments for audio/visual live performances, installations and interactive applications. I post some of my works and news on this site.