Durant le mois de juillet 1829, il fait un temps de chien à Paris. Il pleut des cordes, près de 134mm d’après les archives de la station météo Montsouris. Tant mieux, cela évite à Hector Berlioz de prendre l’envie de partir se dorer la pilule au club Med durant ses congés payés, pour la bonne raison que ni l’un ni l’autre n’existent, et qu’il fait moche.
Il a donc tout le loisir de se concentrer sur l’écriture de “Cléopâtre”, une cantate aventureuse et torturée, qui vaudra à Berlioz de ne pas remporter le prix de Rome. Dommage, il lui était pourtant tout destiné cette année là— ayant reçu le second prix l’année précédente, c’était la coutume. Et le prix lui aurait été sans doute remis s’il avait composé une cantate “raisonnable”. Mais non, du haut de ses 27 ans, le jeune Berlioz n’en fait qu’à sa tête et rédige une partition exigeante, recourant à des formes harmoniques nouvelles et destinée à un orchestre fougueux. Tout le contraire de ce que le conservatisme institutionnel attendait de lui. Forcément, il faut dire qu’avec ce temps de chien en plein mois de juillet et cette époque de pleine apogée du romantisme français, on ne pouvait pas non plus attendre d’Hector qu’il nous compose du Moby.
Le pitch du livret de Pierre-Ange Vieillard est simple: Cléopâtre, vaincue par Octave, s’apprête à mourir et dit son dernier mot. Mais romantiquement, donc elle le dit pendant une vingtaine de minutes. Elle se lamente sur la mort de ses ex Jules et Marc-Antoine, et sur le mépris d’Octave envers elle, insensible à ses charmes. Puis elle pleure son déshonneur et invoque les pharaons pour rappeler à Octave sa royauté en élevant, à plusieurs reprises, sa voix … d’une octave, justement. C’est par exemple le cas à partir de 14:14 dans la vidéo ci-dessus, au moment où Cléopâtre hurle son titre de “Reeeeeeeine” dans les vers suivants :
Grands Pharaons, nobles Lagides
Verrez-vous entrer sans courroux
Pour dormir dans vos pyramides
Une reine indigne de vous?
C’est ce moment précis qu’choisi de sampler, 150 ans plus tard, un autre compositeur dans un titre non moins aventureux.
Il y a des morceaux comme ça qui fichent une claque. Ce titre de Ghédalia Tazartès, qui nous a récemment quitté en 2021, en est un, qui m’a intrigué par son titre avant même d’avoir pressé le bouton play: “Un Amour Si Grand Qu’il Nie Son Objet”.
On y entend en strates superposées la complainte solitaire de Tazartès, la complainte soliste d’une chanteuse lyrique, la complainte solidaire d’une foule en colère. Puis leur lent délitement. Et puis ce qu’il en reste: résidus de voix, échantillons mutilés et boucles bancales, grumeaux grommelés… Et une sorte de chant chamanique qui serpente et trace une voie entre ces débris de voix.
Un météore sonore qui traverse l’espace de ce qu’on considère, ou pas, comme de la musique. Il existe même un enregistrement TV de ce morceau de Ghédalia, signe que fût une époque où la télé était capable d’un peu d’astronomie musicale de temps à autre. Comme le conclut le journaliste: “Voilà. On n’aime… ou on n’aime pas!”
La suite demain à cette adresse!