En 1982, Jamie Principle, un jeune américain de 22 ans qui travaille dans la finance à Chicago et pratique la musique en dehors des heures d’ouverture de la bourse écrit la chanson “Your Love”. Ce titre reconnaissable dès les premières secondes par son ostinato électronique, qui déroule tout du long son motif ternaire sur une musique binaire, est l’occasion pour Jamie de confier à une certaine Lisa dont il s’est épris, qu’il transpire énormément quand elle est près de lui.
Car dans l’interminable récession qui frappe encore Chicago à cette époque, on se fiche pas mal de sentir le fauve dans la foisonnante scène musicale où se mêle punk, rap et disco. La cassette démo de Jamie Principle qui aurait pu rester la bande son d’une mauvaise pub pour déo finit entre les mains de Frankie Knuckles, DJ new-yorkais débarqué à Chicago quelques années plus tôt et qui a ouvert le club “The Warehouse”, où il remixe des titres disco en leur ajoutant une froide touche d’électronique venue de l’Est (hallo Kraftwerk!). Le titre de Principle lui plait, il booste la basse du kick, le clap du snare, s’amuse un chouya avec son potar de panning afin d’en faire une version club (et accessoirement de s’en octroyer les droits) puis joue régulièrement ce qui devient le titre fondateur d’un genre musical naissant nommé d’après le club de Knuckles : la house music.
Dix ans plus tard, dans un autre genre de club où l’on aime aussi l’électronique, la NASA (aidée des Agence Spatiales Européenne et Italienne) envoie la sonde Cassini-Huygens hors de notre house-sweet-home, à l’assaut du système Saturnien. Cette sonde mesure l’activité du plasma autour des anneaux de Saturne et renvoie l’enregistrement de ces ondes électromagnétiques aux scientifiques restés sur Terre, qui n’ont pas eu la chance de participer au voyage et de finir carbonisés avec la sonde, quand elle se désintégra en rentrant dans l’atmosphère de Saturne le 15 septembre 2017, après quelques années de bons et loyaux services. Voilà donc les “sons des anneaux de Saturne” enregistrés en 2003 par Cassini:
Ces sons ne sont pas sans rappeler ceux de la bande originale composée par Bebe et Louis Barron pour le film “Forbidden Planet” réalisé en 1956, ou encore le Requiem de György Ligeti, composé en 1965 et utilisé par Kubrick dans son film “2001, A Space Odyssey”. Notons que pour les enregistrements de Cassini, il ne s’agit pas vraiment de “sons” de Saturne (puisque que c’est bien connu: dans l’espace, personne ne vous entend crier), mais d’une “sonification” de son rayonnement électromagnétique, accéléré 22 fois et transposé vers le grave par un facteur 44. Autrement dit, les scientifiques qui ont sonifié les données de la sonde Cassini avaient peut-être aussi envie d’y entendre ce que les artistes avaient imaginé avant eux.
Face à ce déluge cosmique des plus insécurisants, quoi de plus naturel pour Noah Lennox, alias Panda Bear, chanteur du groupe Animal Collective de rechercher le réconfort d’une maison à lui ?
Isn’t much that I feel I need
A solid soul and the blood I bleed
With a little girl, and by my spouse
I only want a proper house
Il écrit ce morceau d’abord intitulée “House“, qui prendra ensuite le titre de “My Girls” sur l’album “Merriweather Post Pavilion” paru en 2009. Et pour mettre en musique cette ode pavillonnaire, quoi de mieux que d’utiliser l’ostinato d’un morceau pionner de la “house music” au milieu de ces inquiétants spectres sonores de l’espace?
Pour l’anecdote, le Merriweather Post Pavilion qui donne son nom à l’album du collectif animal est avant tout le nom d’un lieu de festival dans le Maryland, qui a été financé par la grande fortune de Majorie Merriweather Post. Il existe un autre pavillon cossu lui ayant appartenu: la villa Mar-a-Lago, qu’elle se fit construire en 1924, et qui deviendra l’actuelle villa d’un type dont j’ai oublié le nom.