Quelles que soient les matières qu’on lui confie, Neil Fraser, plus connu sous le nom de Mad Professor, les liquéfie en harmonies psychédéliques; les guitares les plus saturées s’évaporent en nuages de bulles et le mixage de ses échantillons entraine des réactions acido-basiques, caractérisées par l’apparition de couleurs exotiques et de fumées opaques à l’intérieur de ses Erlenmeyers. De quoi laisser l’auditeur dubitatif sur son propre état psychique.
Sa chimie sonore est identifiable dès les premières secondes, une basse aussi obstinée que la marche d’un éléphant stone, des percussions dont la phase tourne si vite qu’elles se vaporisent sous l’effet de la force centrifuge, quelques accords de clavier tamisés par des filtres tubulaires et des bribes de voix lancinantes, qui paraissent provenir de vieux rastamans dansant comme des chamans.
On jurerait entendre la voix si spéciale de Lee Scratch Perry, avec qui Mad Professor a collaboré à maintes reprises, mais il n’en est rien. Le morceau que remixe ici le savant fou provient des suisses du groupe de rock électro “The Young Gods” et malgré son titre brûlant, ce “Kissing The Sun” sorti en 1995 sonne aussi froid et tellurique que l’ubac d’un sommet alpin.
Mais la végétation amazonienne de la Guyane, dont Neil Fraser est originaire, engloutit et digère toutes matières sonores, même les plus granitiques. À l’intérieur du studio Ariwa, qu’il créé en 1979, les guitares saturées des Young Gods se dissolvent, comme tout le reste, sous l’effet de l’humidité ambiante. Elles compostent en humus et renaissent dans un amalgame organique protéiforme, une forme de vie inconnue qui tend des yeux, des oreilles et d’autres organes encore indéterminés vers le ciel, pour embrasser le soleil.