05 — Debussoïd androïd

Dire que l’influence de Debussy est considérable dans la musique du XXe siècle  serait une lapalissade, au point que le musicologue Roger Nichols posait tout bonnement les choses ainsi:

(…) une liste des compositeurs du XXe siècle influencés par Debussy correspond pratiquement à une liste des compositeurs du XXe siècle tout court.

Et bam.

Debussy est encore assez jeune quand il écrit cette rêverie en 1890, mais il n’en est pas très satisfait et pense qu’elle ne devrait pas être publiée. Elle est pourtant reprise et arrangée à plusieurs reprises et connait une certaine notoriété. Et puis, n’en déplaise à Claude, on reconnait très bien son style dans cette œuvre de jeunesse: des grappes de notes cristallines égrenées  tout au fond du temps, comme si l’on n’en recueillait que l’écho, et tombant comme des perles sur un tapis mouvant de basses aux harmonies incertaines. Tell me without telling me you’re Debussy.

Rien de plus éloigné des machines que sa musique, ses tempi mouvants, ses nuances organiques et ses modulations qui sortent des règles traditionnelles de l’harmonie classique vont à l’encontre de la mécanisation industrielle, qui commencent à cette époque d’envahir l’espace sonore de ses rythmes horlogers. La mécanique de Debussy est celle des fluides, tout nous entraine dans son œuvre vers une sensibilité organique du monde, une sensualité à fleur de peau, qui fait écho à l’impressionnisme pictural (même si Debussy se défendit d’appartenir à cette esthétique).

C’est peut-être pour cette raison précise que les allemands de Kraftwerk, dont toute la discographie questionne le rapport des humains à la machine, citèrent cette pièce de Debussy dans le titre “Neon Lights“, parue en 1978 sur l’album “Man-Machine” (le motif mélodique à partir de 3:35 dans la version de Lang Lang ci-dessus, qui rentre progressivement après la sixième minute de Neon Lights).

Notre homme-machine y répète en boucle un texte de quatre vers issus d’un dictionnaire à douze mots, en automate incapable de sortir de son propre logiciel. Douze mots qui évoquent en creux la nostalgie d’une perception vibrante des couleurs du monde, quand elles sont ici réduites à la lueur blafarde des néons, et la ritournelle de Debussy d’évoquer ce lointain souvenir, comme le résidu mathématique d’une humanité engloutie par le capitalisme électronique.

Le titre de la célèbre nouvelle de Philip K. Dick, qui inspira le film Blade Runner, posait cette question: les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? Kraftwerk nous donne ici la réponse: la nuit, les androïdes ne dorment pas. Ils regardent insomniaques les néons qui scintillent sur la ville et répètent en boucle infinie:

Neon lightsShimmering neon lightsAnd at the fall of nightThis city’s made of light

La suite demain!

Author: Vincent

Independant R&D engineer and artist, crafting digital instruments for audio/visual live performances, installations and interactive applications. I post some of my works and news on this site.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *