20 — Orientations péri-scolaires

Né en pleine seconde guerre mondiale, le jeune Jeremy John Ratter se fait virer à deux reprises de l’école durant son enfance, guère enclin dans cet après-guerre à se conformer à la “vraie vie” dont lui parle son père, quand lui-même en est revenu passablement dépité.

Après avoir rencontré Carole “Gee” Vaucher aux beaux-arts, qui deviendra sa partenaire pour le reste de sa vie, ils investissent une vieille maison abandonnée en lointaine banlieue de Londres pour en faire un lieu de création ouvert. Le “Dial House“, bâtiment délaissé de la British Telecom, servira de base pour la création de nombreux projets artistiques. Il accueille notamment le jeune Steven Williams, dit “Steve Ignorant“, qui co-fonde le groupe “Crass” avec Rimbaud — pas le poète shooté par Verlaine, mais le poète à deux sous : “Penny Rimbaud“, nom adopté par Jeremy John Ratter en 1977, afin d’être “son propre enfant” (et un peu celui d’Arthur et de Sigmund, du coup). Le groupe choisit son nom grossier en référence à cette ligne du Ziggy Stardust de David Bowie : “The kids were just crass“, histoire de bien se différencier de la vague de dandysme (dont Bowie est le maitre), qui travestit les valeurs anarcho-libertaires du punk en une simple mode cosmétique et commerciale.

Les deux comparses sont vite rejoints par une flopée d’amis qui passent par le Dial House, aux pseudos très 1970’s: Phil Andrew Clancey dit “Phil Free“, Joy Muriel Elizabeth Haney dite “Joy De Vivre“, Bronwen Lloyd Jones aka “Eve Libertine“, ou Gee Vaucher, qui en assure la direction artistique. De 1978 à 1984, ils dénoncent le capitalisme, la bureaucratie, le patriarcat et toute forme de pouvoir oppressif, prônent l’auto-gestion et le DIY, en clamant l’esprit punk ainsi que sa mort, comme dans “Punk is dead” où ils clashent The Clash:

Yes that’s right, punk is dead
It’s just another cheap product for the consumers’ head
Bubblegum rock on plastic transistors
Schoolboy sedition backed by big-time promoters
CBS promote the Clash
Ain’t for revolution, it’s just for cash
Punk became a fashion just like hippy used to be
Ain’t got a thing to do with you or me

L’orwellien “Birth control ‘N’ Rock ‘N’ Roll” (en tête de ce post) démontre aussi un certain talent pour le larsen de guitares saturées, sur lequel Joy de Vivre déroule un manifeste anti-système. À l’inverse des vociférations de beaucoup de morceaux punks, la voix est ici en contraste total avec les percussions et guitares, et les paroles sont scandées sur le même ton que les samples publicitaires qui ouvrent ce titre: promotion pour la guerre (pour vous, messieurs) et les produits de beauté (pour vous, mesdames).

Crass se séparent deux ans après ce titre, en 1984, officiellement en hommage au roman de Georges Orwell (et aussi peut-être parce qu’ils ont la quarantaine), mais le Dial House continue d’exister jusqu’à aujourd’hui.

Né en 1969 de parents jamaïcains immigrés à Bristol, Ryan Owen Granville Williams, plus connu sous le nom de Roni Size, est jeune adolescent quand sort “Birth control ‘N’ Rock ‘N’ Roll“. Il partage avec Penny Rimbaud une certaine absence d’enthousiasme scolaire, qui lui vaut de se faire exclure, lui aussi, de son lycée à 16 ans. Il commence alors la musique en tombant sur un échantillonneur au foyer de jeunes de son quartier. Il fréquente également les soirées du Wild Bunch (collectif de musiciens qui deviendra plus tard Massive Attack): à la manière de ce qui se passait au Dial House, ces soirées sont l’occasion de jams qui permettent un brassage musical fertile, mais l’énergie sauvage et le no-future des punks ont été troqués contre le ronronnement des sub-basses et la métrique du break-beat, assortie d’une forme de futurisme, qui s’incarne dans le son électronique de la jungle/drum’n’bass naissante.

En 1997, Roni Size entouré du collectif Reprazent sort l’album “New Forms”, au titre révélateur de ce crédo futuriste, et dont le morceau emblématique reste probablement “Brown Paper Bag“, avec son riff de contrebasse iconique et son clip dans lequel les protagonistes stoppent le temps et le mettent en boucle pour attraper leur vol.

Sur le titre éponyme “New Forms“, la rappeuse Antonia D. Reed, aka MC Bahamadia, vante la qualité de son flow et l’avènement d’un monde nouveau. On y entend les échos lointains des guitares de Birth control ‘N’ Rock ‘N’ Roll (sorti quand Roni Size avait 13 ans… comme de par hasard!), et les paroles, en écho elles aussi, y sont rappées avec la voix posée d’une présentatrice TV qui annoncerait les valeurs du NASDAQ.

En 1997, Roni Size gagne le Mercury Prize avec cet album devant quelques sérieux concurrents: “OK Computer” de Radiohead, “Dig Your Own Hole” des Chemical Brothers, ou le “Fat of the Land” de Prodigy. Il reversera les 20000£  du prix au “Sefton Park youth centre“, qui l’avait accueilli dans ses premières créations musicales, afin de permettre à d’autres jeunes d’y trouver le soutien dont il a bénéficié. À certains égards, l’esprit punk is not completly dead.

La suite demain!

Author: Vincent

Independant R&D engineer and artist, crafting digital instruments for audio/visual live performances, installations and interactive applications. I post some of my works and news on this site.