Il y a quelques années, cette très chère amie Juliette nous met ce morceau de Philippe Léotard, “Ancien combattant” (1999), sur une petite compilation home-made comme on aime s’en échanger. Curieux morceau que je ne connaissais pas et curieux texte surtout. Philippe y règle possiblement des comptes avec son frère, François Léotard, qui venait justement de passer deux ans à la tête du ministère de la défense et des anciens combattants. Deux fils de bonne famille aux parcours un peu différents. Pendant que le François abusait des biens sociaux, c’est plutôt l’alcool et la coke dont abusait le Philippe, qui s’était déjà proposé comme “ministre de la défonce” sur la scène du printemps de Bourges, en plein mandat de son reuf : “Chacun son truc. Il vendra des missiles et moi des pétards.“
La version du Léotard anti-militariste est une reprise de Zao, artiste congolais qui écrit cette chanson en 1984, voyant la guerre civile sévir dans son pays et chez ses voisins. En employant volontairement le “parler petit nègre“, cette belle invention coloniale d’un français primitif, pratiqué dans l’armée pour assigner les africains à un rang inférieur (cf. l’origine du “Y’a bon banania!”), Zao imite à la fois ces anciens tirailleurs, raillés par la jeunesse qui ne les comprend pas, tout en témoignant de leur lucidité sur l’absurdité de la guerre, dressant une liste aussi tragique que saugrenue de tout ce qu’elle détruit sur son passage: les militaires, les travailleurs, ta chérie, ton premier bureau, ton deuxième bureau, les coqs, les chiens, les rois, les reines, ton whisky, les écoles, les bébés, l’ONU: tous seront cadavérés!
Zao qui avait gagné le prix découverte de RFI en 1982, sortira aussi cette chanson en France et en Europe et son “Ancien Combattant” résonnera bien au-delà des frontières du Congo. Malgré sa dénonciation des ravages de la guerre, elle le rattrape quand son fils de quatre ans meurt dans celle qui embrase son pays à l’été 1997. La rivalité entre le président Lissouba et son opposant Sassou-Nguesso, appuyés chacun par leurs milices, entraine les ethnies congolaises dans un conflit qui fera plusieurs centaines de milliers de morts.
L’origine de “Ancien combattant” remonte à ce titre “Petit imprudent” du professeur, compositeur, et musicien multi-instrumentiste malien Idrissa Soumaoro, dont l’importante renommée en Afrique de l’Ouest arrive avec un peu de retard en France (il ne reçoit le prix découverte de RFI qu’en 2004). Il est aussi à l’origine de l’orchestre “Miriya” au début des années 1980, composé exclusivement de musicien·ne·s et chanteur·se·s non-voyantes et dirigé par Amadou et Mariam. Il fait aussi partie des rares musicologues à s’intéresser à la musicologie braille. Il n’a que 20 ans quand il enregistre “Petit imprudent” en 1969, à la radio nationale Malienne, qui raconte une altercation dont il a été témoin entre un ancien tirailleur et un jeune qui lui manque de respect. La bande de cet enregistrement aurait été volée par un technicien de la radio et copiée de manière pirate, rencontrant un certain succès dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Elle sera reprise par plusieurs groupes dont “Balla et ses balladins” en 1975.
On a souvent accusé Zao d’avoir plagié/pillé le titre d’Idrissa Soumaoro, qui n’a jamais touché aucun droit sur le succès commercial de Zao. La réalité est peut-être un peu plus nuancée. Si l’inspiration est évidente, et que certaines phrases de “Petit Imprudent” sont directement utilisées dans le titre de Zao, ce dernier a également largement adapté le texte et la musique. Une autre raison possible est que Zao ne connaissait pas Idrissa Soumaoro, ayant découvert sa chanson par l’intermédiaire d’un petit livret réalisé par des ethno-musicologues parisiens, qui en avaient consigné les paroles pour une publication sur les traditions orales. Or il est bien souvent arrivé que des musiciens africains ou d’autres pays, dits “du tiers monde” à l’époque, aient été enregistrés sans que leur nom ne soit nullement crédités lors de la publication de ces enregistrements (c’est le cas par exemple sur un grand nombre de pistes de l’album “Les Voix Du Monde“, par-ailleurs excellent et publié en 1996 chez Occora). Ou quand la culture “petit-nègre” se poursuit dans l’effacement des noms: ceux des tirailleurs africains, et de ceux qui les chantent.