Cette œuvre de Giacinto Scelsi, composée en 1967 et jouée pour la première fois en 1969 à Venise, ne fut enregistrée et publiée qu’en 2005 (à ma connaissance) sur le label ECM, par la fameuse violoncelliste Marie-Frances Uitti, accompagnée ici par le Münchener Kammerorchester, et qui collabora pendant treize années de sa vie avec Scelsi, jusqu’à la mort de ce dernier en 1988.
Le titre “Natura Renovatur” signifie littéralement “la nature se renouvelle” mais Scelsi, qui s’intéressait beaucoup à la mystique et l’ésotérisme pourrait avoir été inspiré par la maxime latine “Igne Natura Renovatur Integra” qu’on traduirait par “La nature se renouvelle dans son intégrité par le feu”. Cette formule qui cherche (à défaut de la trouver) son origine dans l’alchimie du XIXè siècle ré-interprète de manière ésotérique l’acronyme INRI placé au dessus de la croix de Jésus, dont la signification généralement acceptée est “Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdæorvm“, Jésus de Nazareth, roi des Juifs.
Trêve de mystique, on retrouve ici les obsessions de Scelsi à pénétrer à l’intérieur du son et composer des musiques faites de timbres et d’intensités plutôt que de rythmes et de notes. Il a notamment raconté qu’il pensait s’être guéri d’une période d’internement psychiatrique en répétant sans cesse une seule note sur le piano de la clinique, jusqu’à ce qu’il découvre “l’univers entier dans ce seul son”, engendré par les résonances sympathiques du piano. De quoi clouer définitivement le bec de ceux qui trouvaient les ostinatos à deux notes de Phillip Glass trop simplistes.
On peut trouver un certain nombre de résonances avec une autre œuvre enregistrée en 1975 par Bernard Parmegiani, au Groupe de Rercherche Musicale (GRM) de la Maison de la Radio: “De natura sonorum” (“de la nature des sons”). Outre la similarité de leur titre, pour Parmegiani comme pour Scelsi, le son est une matière qui se sculpte. De Natura Sonorum, de manière analogique au De Natura Rerum de Lucrèce, envisage le sonore comme une “chose”, qu’il s’agit d’explorer et de comprendre. Les titres sont d’ailleurs explicites de cette aventure exploratoire: “accidents-harmoniques”, “dynamique de la résonance” ou encore “géologie sonore” annoncent un chantier où le port du casque (audio) est obligatoire.
Ce qui est troublant, c’est qu’en 1975, Natura Renovatur de Scelsi n’a pas encore été publiée quand Parmeggiani compose De Natura Sonorum. En aurait-il entendu une version live lors des nombreux voyages de Scelsi à Paris? Plus troublant encore, si on joue les trois premiers morceaux de De Natura Sonorum en même temps que Natura Renovatur, on aurait presque l’impression qu’il s’agit d’une seule et même pièce. Coïncidence harmonique? I think not.