En ce treizième jour du mois le plus sombre de l’année, dans cette agonie de soleil qui précède son renouveau, un morceau au titre idoine : “Suffer”, extrait du premier album des Smashing Pumpkins: “Gish” (1991).
“All that you suffer is all that you are.
All that you smother is all that you are.
And you’re saying you’re seeing, you’re seeing who you are.
What takes meaning is cleaning the meaning of who you are.
On this seam, I will dream on this seam.
All of you struggles beneath your disguise;
You drink from the reasons that hold you alive.
To ascend from the wounds of desire and pain,
You must rise from the mounds of desire and change”
… nous souffle Billy Corgan de sa voix de poupée Chucky, sur une texture de guitare ondoyante en demi-tons et une rythmique lancinante, qui ne sont pas sans rappeler celles de la Venus in Furs du Velvet.
Un morceau symptomatique de cette dépression générale, qui s’empare au tournant des années 1990 de la génération X et entraine d’un même mouvement le rock alternatif vers le grunge et le hip-hop vers le trip-hop. C’est dans ce désenchantement que s’opèrent aussi des brassages culturels et sonores, à la faveur de l’accessibilité des instruments de mixage, de montage, de sampling. Et c’est ainsi que le titre de Corgan se retrouve subvertit dans une version plus décadente encore que l’originale.
Quatre ans après le premier album des Pumpkins, Tricky s’éloigne des Massive Attack pour sortir “Maxinquaye”, son premier opus sur lequel figure un morceau au titre explicite: “Pumpkin”, comme le nom du groupe qu’il sample, certes, mais aussi comme cette courge boursouflée, caboche vide et grimaçante d’Halloween.
Les paroles balbutiées par Alison Goldfrapp (encore elle) débutent par “you’re hollow within”, tu es vide à l’intérieur, avant de dériver sur des bouts de phrases à peine compréhensibles, ainsi du râle rocailleux de Tricky. Sur l’ostinato des Pumpkins, s’ajoutent deux accords vaporeux oscillant comme la corde tendue d’un pendu. L’anxiété et le sentiment de vacuité au milieu d’une société de consommation en échec agissent comme un lent poison, doux comme un velours mais vénéneux; la fulgurance des shoots à l’héro du Velvet Underground semble avoir laissé la place à un soma en perfusion (la drogue du Meilleur des Mondes d’Huxley, et autre titre des SP), qui nous laisse hébétés, nauséeux, médusés ou indifférents… peu importe, nous dit Tricky.
I can’t breathe and I can’t see
MTV moves too fast, I refuse to understand
You go your way and I’ll see mine
Feels like wasted time
And it feels like I must be blind
How’d you like yourself?
You don’t know yourself.
I smell of she and I fail to be
Well, anyway
Well, anyway
Well, anyway.