#2 — Une réponse de Lenorman

En 1975, Gérard Lenorman sort ce titre “La Belle et la Bête”, inspiré du conte éponyme et dont les paroles commencent avec ces lignes :

C’est vrai que je suis né d’accouplements immondesEntre une veuve noire et un crapaudToi ta mère est blonde
Et ton père te couvre de cadeauxAutre monde autres façonsLa belle et la bête c’est un conte de féesQui te distrayait quand tu lisais tes illustrés

Mais ce texte possède une signification particulière pour Gérard Lenorman, né en 1945 dans un lieu tenu par des religieuses accueillant des “filles mères” (la sienne avait 16 ans au moment de sa naissance) et de père “inconnu”. Il n’apprendra qu’en 1980, à 35 ans et cinq ans après avoir publié cette chanson, que son père était un soldat allemand, qui s’est enfuit à la fin de la guerre. Les contes ne sont peut-être pas tant des histoires pour enfants que des histoires d’enfants. Mais l’écoute de ce titre vous évoquera probablement autre chose encore, comme un déjà vu…

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#1 — On ne sait pas ce qu’on a avant de l’avoir perdu

Pour commencer ce calendrier de l’avent des samples en douceur et en beauté, qui mieux que celle qui traversa le millénaire en collaborant ou en inspirant des artistes aussi variés que Frank Sinatra, Leonard Cohen, Neil Young, Led Zeppelin, Crosby, Still Nash & Young, Dolly Parton, Joe Dassin, Seal, Prince, Charles Mingus, Keith Jarrett, George MichælBob Dylan, Jeff Buckley, Eurythmics, Slash, Björk, Jacob Collier, James Blake, Peter Gabriel, Manu Catché, Billy Idol, Roger Waters, Jaco Pastorius, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Diana Krall, Brad Meldhau, Nana Mouskouri, Aphex Twin, Tori Amos ou Courtney Love?
Si vous n’avez aucune idée, courez regarder le documentaire consacré à Joni Mitchell:

Joni Mitchell était aussi connue pour utiliser une grande diversité d’accordage de guitare (plus d’une cinquantaine!). Son titre “Big yellow taxi”, qui alerte dès 1970 de la destruction écologique de la planète —soit deux ans avant le rapport Meadows, se joue sur une guitare accordée en EADGBE. So if you don’t know, now you know. 

Parmi les artistes inspirées par Mitchell absentes de la liste ci-dessus, il en est une qui utilisa à merveille un extrait de “Big Yellow Taxi” dans un titre sorti en septembre 1997 …

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#25 – Béni soit l’enfant

Et pour finir ce calendrier, “God Bless The Child” de Billie Holliday.

Them that’s got shall get / Them that’s not shall lose
So the bible said and it still is news
Mama may have, papa may have
But God bless the child that’s got his own, that’s got his own.
 
Celui qui a aura / Celui qui n’aura pas perdra
C’est ce que disait la Bible et c’est toujours d’actualité
Maman peut avoir, papa peut avoir
Mais Dieu bénisse l’enfant qui a le sien, qui a le sien.

Un art de l’ellipse pour ne pas directement parler de l’argent, dont Billie Holiday a cruellement manqué.

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#24 – a nature boy in the city life

En 1999, j’avais acheté ce CD “fear of fours” du duo anglais Lamb, un peu par hasard, parce que le titre et la pochette m’intriguaient (et parce qu’on faisait comme ça de mon temps avant l’internet et spotify, bande de jeunes). Un mélange de jazz, de sons électroniques, de cordes classiques et de jungle-break-beats qui reflètent vraiment un air du temps très “city life” —  les œuvres de  Steve Reich et de Goldie étant coïncidemment sorties toutes deux en 1995.

Au milieu du disque de Lamb, le titre “Ear Parcel” commence par un motif de cordes pizz, auquel répond un accord de vibraphone suspendu… et puis derrière, on entend le coassement de quelques grenouilles, la stridulation de grillons et d’autres bruits d’insectes nocturnes; un paysage sonore très cinématographique dont j’ai longtemps imaginé qu’il provenait d’un film…

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#23 – une goutte d’eau dans un océan de son

Il y a un sensation psychique singulière dans le fait de reconnaitre un sample au milieu d’un morceau. Il semble se détacher, comme s’il avait été rajouté et collé là, quand bien même on écouterait le morceau original dont il est extrait. On pourrait attribuer cette sensation à une réaction primaire et profondément ancrée de réconfort que procure la familiarité, mais il s’y ajoute une forme d’excitation de l’ailleurs. Car cette familiarité dévoile sous nos pieds une passerelle secrète entre un monde que nous connaissions déjà et un autre jusqu’alors inconnu, rempli de couleurs et de sons inouïs. Et quoi de plus grisant que de nouvelles couleurs ?

Je ne me souviens plus de la date à laquelle j’ai entendu pour la première fois ce morceau de Shelly Manne, mais je me souviens de cette sensation.  Il figure tout à la fin de l’album “Mannekind”, album de jazz progressif sorti en 1973, sur lequel Shelly Manne — batteur et chef d’orchestre au nombre impressionnant d’albums et de collaboration (dont Henry Mancini, dont nous parlions hier, mais aussi tant d’autres) — s’amuse à introduire quelques sons  exotiques: Berimbau et Cuíca brésiliens, woodblocks et autres flexatones… Un son particulier ressort sur le dernier morceaux intitulé “Infinity”, qui ressemble à une sorte de balafon avec une réverbération très colorée et un slap-delay, comme des gouttes d’eau tombant au fond d’une caverne.

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#22 – non, non, rien n’a changé

Après le succès de “Noël 70”, les Poppys, une quinzaine de jeunes sous la quinzaine,  sélectionnés parmi les Petits Chanteurs d’Asnières pour interpréter des chansons de la gauche chrétienne (avec des titres comme “Jésus révolution“, yeah!), remet le couvert pour Noël 1971 avec leur plus grand tube: “Non, non, rien n’a changé“. Sur la face B de ce 45 tours (je réalise à quel point cette phrase n’a aucun sens pour les plus jeunes), sur cette face B, donc, on trouve ce titre tout aussi emblématique de la mondialisation naissante que de la culture hippie: “Love, Lioubov, Amour“.

À cette époque la guerre du Vietnam se “vietnamise” comme on dit officiellement, c’est à dire que Nixon, Brejnev et Mao se disent qu’il vaut finalement mieux se faire la guerre par procuration et envoyer des armes, plutôt que leur jeunesse, afin que les vietnamiens puissent continuer de s’entretuer, sans trop nuire à leur popularité.
Il n’en fallait pas plus pour confier aux Poppys le soin d’interpréter ce texte écrit par Jacqueline Néro, qui imagine Richard, Leonid et Georges partir en Chine pour “rire, boire et chanter dans une surprise-partie entre vieux copains” (oui, Georges est invité aussi, la France étant, comme chacun sait, au centre de l’échiquier politique mondial). Parce que la paix, c’est cool et à l’époque, ces leaders politiques avaient visiblement du mal à le comprendre. Heureusement qu’aujourd’hui, tout a changé et rien de cela n’a continué.

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#21 – passage de panthère

Dans toute la série de films de la Panthère Rose, le troisième épisode, intitulé simplement “Inspector Clouseau”, est le seul qui ne sera pas réalisé par le trio Blake Edwards / Peter Sellers / Henry Mancini (à la réalisation, l’interprétation et la musique respectivement), car ils étaient pris à ce moment par le tournage de “The Party” (excuse acceptée). Il en résulte un film réalisé par Bud Yorkin, plutôt raté et assez vite oublié, ainsi que sa musique, composée par Kenneth Thorne dans le style jazz-symphonique de cette époque.

Il est toujours intéressant dans ces séries, comme La Panthère Rose, James Bond, Mission Impossible etc.,  de voir comment le leitmotiv (et tout le monde connait celui de la panthère rose) filtre à travers chaque épisode. Film à part dans la série, “Inspector Clouseau” déroge à la règle en ne reprenant par directement le thème, mais dans un morceau comme “In the Alley Ways” par exemple, on sent son influence: on reste en mi mineur et la mélodie avance par chromatisme, comme le fameux thème… qu’on peut s’amuser à chanter dessus.

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#20 – New-York, New-York, New-York

New-York, 1974.

Michal Urbaniak, compositeur, violoniste et saxophoniste de jazz polonais, qui n’a encore sorti *que* cinq albums (sur une cinquantaine à son actif) enregistre “Atma” dans les studios de Columbia, avec un featuring spécial du Dr. Max Mathews himself, pionnier de l’informatique musicale, en assistance sur l’électronique du violon d’Urbaniak. Pour clôturer l’album dans un élan d’ouverture, “Atma – Tomorrow”:

New York, 1978.

Cedar Walton fait partie de ceux qui se sont cassés les dents sur l’enregistrement original de Giant Steps. Il devrait avoir une légion d’honneur rien que pour ça, mais on ne pourrait résumer sa carrière à ce fait d’arme. En 1978, alors qu’il n’a encore sorti *que* dix-sept albums en son nom (sur une cinquantaine à son actif), il enregistre “Animation”, pour Columbia lui-aussi, dans les mythiques studios Electric Lady de Jimi Hendrix. Sur cet album figure le morceau “Jacob’s ladder” (sans lien avec le film d’horreur éponyme cité précédemment), ici en version live at the Keystone Corner:

New York (et un peu L.A. aussi), 1993.

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