#5 — Une page de pub

Dans le paysage de la musique folk américaine, on ne peut passer à côté de la figure d’Alan Lomax, musicien, musicologue folkloriste et collecteur insatiable de musiques américaines, ayant notamment promu des musiciens tels que Robert Johnson, Woody Guthrie ou Pete Seeger. Il commence dès son plus jeune âge sur les pas de son père John Lomax, lui-même musicologue (ainsi que sa sœur Bess Lomax et son frère John Lomax Jr., c’est une affaire de famille) et pionnier dans le collectage des musiques traditionnelles aux USA auprès de la prestigieuse bibliothèque du Congrès.

Alan Lomax enregistrera un nombre considérable de chants de la communauté afro-américaine, jusque dans les prisons et les champs de coton —contribuant ainsi à une meilleure reconnaissance de la culture afro-américaine, dans un pays encore sujet à la ségrégation raciale. Parmi ses nombreux enregistrements, on trouve ceux-là, extraits du catalogue “Sounds from the South”:

“Joe Lee’s Rock” de Willy Jones, dit “Joe Lee” (plus de détails ici):

ou encore “Trouble So Hard” de Vera Hall (plus de détails ici):

Ces voix sont tellement iconiques que les musiques les ayant samplées seront sans doute identifiées dès les premières secondes, pour celles et ceux qui écoutaient la radio ou la TV à l’aube de l’an 2000.

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#4 — Tournez et hurlez

Les années 60 marquent le sommet des Trente Glorieuses et sont un répertoire inépuisable de musiques dansantes et légères, dans lesquelles puiseront gaiement les groupes des trente années suivantes pour chanter la crise et la dépression. On trouve par exemple cette chanson: “Let the Four Winds Blow”, co-écrite par Dave Bartholomew et Antoine “Fats” Domino et d’abord enregistrée par Bartholomew en 1955.

Elle fut également enregistrée par son comparse, quelques années plus tard en 1961, avec déjà un shuffle rythmique plus prononcé:

 

Ce petit shuffle dut rapidement tomber dans l’oreille de l’un des commerciaux de la Pickwick Records, un de ces labels de musique affiliés à de grandes chaines de magasins, pillant les tubes d’artistes auteurs et inondant le marché d’albums low-cost, en faisant souvent ré-enregistrer ces tubes par des musiciens de studio anonymes, et en les vendant sous de faux noms de groupe. Lou Reed y travaillera d’ailleurs un temps à ses début en tant qu’auteur-compositeur anonyme.

C’est ainsi que dès l’année suivante, ce “Let the Four Winds Blow” devient “Yes she knows” interprété par un certain “Tuby Chess and his candy stripe twisters“, ou bien par “Tuby Chess & orchestra“, à moins que ce ne soit par “George Torres And The Twisters” (pour le public latino, vraisemblablement). On pourrait croire à des noms de groupe et des pochettes d’album générés par IA, mais non, on est toujours en 1961 et le business n’a pas 60 ans à attendre. Ne cherchez donc pas la bio de George Torres ou Tubby Chess; ils n’existent qu’en pochette (je n’ai même pas réussi à trouver les noms des musiciens qui jouent sur ces enregistrements). Et au vu de la pochette, on en déduira que même le graphiste était payé au lance-pierre.

C’est justement cet ersatz plutôt que l’original qui sera samplé, probablement à dessein, par un groupe venant chanter la désillusion des années 1990.

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#3 – L’enfer, c’est (encore) eux

Parmi les groupes qui eurent un succès aussi retentissant qu’éphémère, on peut compter sur eux, “Them”, dont l’histoire commence en 1964 avec un certain Van Morisson au chant. Le groupe ne durera vraiment que deux ans, jusqu’au départ dudit Morrison, mais non sans avoir préalablement mis le feu avec quelques titres, dont le plus célèbre reste sans doute “Gloria” , tube entêtant au texte sulfureux. Un autre Morrison aurait tellement aimé écrire cette chanson qu’il l’a d’ailleurs fréquemment chantée avec son groupe, afin de pouvoir la faire durer en live jusqu’à son paroxysme, parce que tout comme le Van, il aimait bien faire ça lui aussi, le Jim.

Deux années pour deux albums au titres efficaces “The Angry Young Them” en 1965 (connu plus simplement sous le nom: “Them”), puis “Them Again” en 1966. Difficile de faire plus concis. C’est sur ce second opus qu’on trouve le titre: “I Can Only Give You Everything”, tout aussi sulfureux pour l’époque:

… ainsi qu’une reprise de James Brown:”Out of Sight”,  avant que le chanteur à la chevelure de feu ne disparaisse de la vue des autres membres du groupe pour faire cavalier seul.

Et quand on met ces deux morceaux dans un shaker californien au milieu des années 1990, assaisonnés de blips électroniques pour rectifier le pH, on obtient ça:

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#2 — Une réponse de Lenorman

En 1975, Gérard Lenorman sort ce titre “La Belle et la Bête”, inspiré du conte éponyme et dont les paroles commencent avec ces lignes :

C’est vrai que je suis né d’accouplements immondesEntre une veuve noire et un crapaudToi ta mère est blonde
Et ton père te couvre de cadeauxAutre monde autres façonsLa belle et la bête c’est un conte de féesQui te distrayait quand tu lisais tes illustrés

Mais ce texte possède une signification particulière pour Gérard Lenorman, né en 1945 dans un lieu tenu par des religieuses accueillant des “filles mères” (la sienne avait 16 ans au moment de sa naissance) et de père “inconnu”. Il n’apprendra qu’en 1980, à 35 ans et cinq ans après avoir publié cette chanson, que son père était un soldat allemand, qui s’est enfuit à la fin de la guerre. Les contes ne sont peut-être pas tant des histoires pour enfants que des histoires d’enfants. Mais l’écoute de ce titre vous évoquera probablement autre chose encore, comme un déjà vu…

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#1 — On ne sait pas ce qu’on a avant de l’avoir perdu

Pour commencer ce calendrier de l’avent des samples en douceur et en beauté, qui mieux que celle qui traversa le millénaire en collaborant ou en inspirant des artistes aussi variés que Frank Sinatra, Leonard Cohen, Neil Young, Led Zeppelin, Crosby, Still Nash & Young, Dolly Parton, Joe Dassin, Seal, Prince, Charles Mingus, Keith Jarrett, George MichælBob Dylan, Jeff Buckley, Eurythmics, Slash, Björk, Jacob Collier, James Blake, Peter Gabriel, Manu Catché, Billy Idol, Roger Waters, Jaco Pastorius, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Diana Krall, Brad Meldhau, Nana Mouskouri, Aphex Twin, Tori Amos ou Courtney Love?
Si vous n’avez aucune idée, courez regarder le documentaire consacré à Joni Mitchell:

Joni Mitchell était aussi connue pour utiliser une grande diversité d’accordage de guitare (plus d’une cinquantaine!). Son titre “Big yellow taxi”, qui alerte dès 1970 de la destruction écologique de la planète —soit deux ans avant le rapport Meadows, se joue sur une guitare accordée en EADGBE. So if you don’t know, now you know. 

Parmi les artistes inspirées par Mitchell absentes de la liste ci-dessus, il en est une qui utilisa à merveille un extrait de “Big Yellow Taxi” dans un titre sorti en septembre 1997 …

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The Brain Orchestra – neural activity sonification

Neural activity data-sonification, with Sébastien Wolf of the ENS Institute of Biology.

Data sonification could be an effective tool for neuroscience research, complementing data visualization. Recent advances in brain imaging have made it possible to record the activity of tens of thousands of mammalian neurons simultaneously in real time. The spatial and temporal dynamics of neuron activation can be translated into sound triggering, according to the functional groups to which these neurons belong.

We have developed software to load such datasets as binary matrices and translate them into MIDI messages, triggering notes whose velocity is a function of neuronal activity. In order to process this vast quantity of data — several tens of thousands of neurons over several tens of thousands of samples — the software enables neurons to be associated in sub-groups, such as those proposed in common atlases, or in an arbitrary manner. The same interface can also be used to sonify continuous data sets from electroencephalography recordings of human brain activity.

This software, developed with Max, can be used as a stand-alone program, but can also be loaded directly as a plugin into the Ableton Live digital audio workstation. This makes it easy to get to grips with the software, enabling you to test different mappings between neural activity data and musical values: which chords, which harmonic progressions, which orchestration, etc. translate the neural activity data set in the most interesting way from the point of view of their scientific understanding and/or musical aesthetics.

Staccato – Musical sound streams vibrification

Vibrotactile transformation of musical audio streams

Vibrification, or the transformation of audio streams into tactile vibration streams, involves the development of transformation algorithms, in order to translate perceptible cues in the audible domain into vibratory cues in the tactile domain. Although auditory and tactile perceptions have similarities, and in particular share part of their sensitive frequency space, they differ in many respects. Consequently, the process of vibrating an audio signal requires a set of strategies for selecting the elements to be translated into vibrations. To this end, as part of the “Staccato” project, a set of free and open-source tools in the Max software have been developed:

  • a framework based on the “Model-View-Controller” (MVC) pattern to facilitate settings and experimentation
  • a set of algorithms, enabling adaptation to different types of vibrotactile transducers and leaving the choice between various vibrification strategies, adaptable according to the content of the audio signal and the user’s preferences.

This set of tools aims at easing the exploration of the vibrotactile modality for musical sound diffusion, supported by a recent boom in technical devices enabling its implementation.

The Staccato project was funded by the french National Research Agency (ANR-19-CE38-0008) and coordinated by Hugues Genevois from the Luthery-Acoustics-Music team at ∂’Alembert Institute- Sorbonne University.

Code is available on GitHub.

Reference

Vincent Goudard, Hugues Genevois. Transformation vibrotactile de signaux musicaux. Journées d’informatique musicale, Laboratoire PRISM; Association Francophone d’Informatique Musicale, May 2024, Marseille, France. [online]

#25 – Béni soit l’enfant

Et pour finir ce calendrier, “God Bless The Child” de Billie Holliday.

Them that’s got shall get / Them that’s not shall lose
So the bible said and it still is news
Mama may have, papa may have
But God bless the child that’s got his own, that’s got his own.
 
Celui qui a aura / Celui qui n’aura pas perdra
C’est ce que disait la Bible et c’est toujours d’actualité
Maman peut avoir, papa peut avoir
Mais Dieu bénisse l’enfant qui a le sien, qui a le sien.

Un art de l’ellipse pour ne pas directement parler de l’argent, dont Billie Holiday a cruellement manqué.

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