Il y a quelque chose d’intrigant dans la pochette de l’album “Unknown Pleasures” de Joy Division (1979). On attribue souvent cette image à Peter Saville, designer pour le label Factory Records à l’époque de la sortie de l’album, mais il n’a fait que mettre en blanc sur noir un dessin déjà paru dans le Scientific American, une dizaine d’années plus tôt.
L’image originale date de 1970. On la doit à Harold Dumont Craft, alors doctorant en astronomie à l’Université de Cornell, qui faisait des relevés d’ondes radio émises par des pulsars, à l’observatoire Arecibo de Puerto Rico. En l’occurrence, il s’agit ici du tout premier pulsar identifié, découvert trois ans plus tôt, par l’astrophysicienne Jocelyn Bell durant sa thèse et connu sous le doux nom de “PSR B1919+21“.
Ce bon vieux B1919 est agé de quelques 16 millions d’années. Il est environ 100 millions de fois plus petit que notre soleil, mais un chouïa plus lourd que lui et situé à un peu plus de 2000 années-lumière de nous, ce qui est relativement proche, pour un pulsar. Et surtout, il nous envoie sa lumière avec la régularité d’un gardien de phare breton de l’espace, toutes les 1.337 secondes. Et c’est justement cela, que l’on peut voir joliment mis en page, sur le papier de Craft. C’était encore le début de l’infographie et Harold Craft a eu cette brillante idée:
J’ai écrit un programme qui, au lieu d’aligner [chaque ligne] verticalement, les a légèrement inclinées pour donner l’impression que l’on regarde le flanc d’une colline – ce qui était esthétiquement agréable.
La représentation visuelle proposée par Craft a de toute évidence parlé à celles et ceux qui s’intéresse au son; John R. Pierce recourt à cette même technique, quoique ici explicitement en 3D, dans son ouvrage “The science of musical sound” paru en 1983, pour représenter l’évolution temporelle d’un spectre sonore.

On peut trouver aussi quelques ressemblances avec cette gravure de Cécile Reims extraite du recueil d’estampes “Cosmogonies”, imprimée en 1959 mais seulement publiée en 2002 (avec un texte de Claude Louis-Combet) qui offre, elle-aussi, un étonnant relief… On dirait presque une œuvre de papiers collés.
La figure originale de Craft apparait toutefois comme un paradoxe visuel, donnant à la fois l’impression d’être en 3D, comme le dessin d’une chaine de montagnes vues du ciel, mais en s’inscrivant dans la platitude 2D d’un cadre rectangulaire, ruinant toute perspective de point de fuite: une sorte de monde en 2,5D. Elle fait partie de ces œuvres visuelles qui contiennent la trace d’un mouvement qu’on aimerait voir se déployer et donnent envie de plonger dedans. C’est ce que j’ai fait, à l’aide d’un patch Max de plongée.